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18/10/2014

Kiev : la presse française admet (enfin) l'omniprésence de "populistes"... nostalgiques de 1941

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En Ouest-Ukraine, la presse française constate"la résurgence des violences et le mystère qui les entoure..." Mais il n'y a de "mystère" que dans l'esprit de journalistes français : 


 

« La période est lourde de menaces », déclare Le Monde, qui envisage « un troisième Maïdan » ou même « une révolution d'octobre ». Il aura fallu au Monde dix mois pour commencer  à admettre ce que les experts et les historiens ont constaté depuis le début : en Ouest-Ukraine, la réalité est moins euro-gentillette que ne le disaient la plupart des journalistes français – et les amis parisiens de M. Iatseniouk.

Certes, la majorité des manifestants de Maïdan étaient indignés par la corruption du système* et croyaient que l'UE – vue comme un sas des Etats-Unis – allait faire quelque chose pour eux.

Mais le fer de lance de Maïdan était d'une autre nature. Milices bientôt reconverties en « bataillons de volontaires » sous emblèmes ouvertement nazis, les opérateurs du putsch de février 2014** étaient les ligues de nostalgiques de 1941. Ces ligues ont obtenu un faible score à la présidentielle de mai***, mais cette faiblesse apparente ne veut pas dire en Ouest-Ukraine ce qu'elle voudrait dire en Europe. Les ligues influencent la Rada et le gouvernement, elles ne sont pas loin du Premier ministre Iatseniouk, elles encerclent le président Porochenko, travaillent avec les potentats régionaux, et leurs « bataillons de volontaires » font tout pour empêcher le cessez-le-feu. Aidées symétriquement en cela par les unités jusqu'auboutistes des pro-russes du Donbass...

De rares journalistes français l'avaient vu et dit. Des chaînes de télévision allemandes aussi. C'était nié en bloc par le ministère Fabius et la plupart de nos médias, mais aujourd'hui l'omertà se fendille. Le Monde du 18/10 titre : « En Ukraine, les discours populistes fleurissent – Les actes de radicalisation se multiplient pendant la campagne des élections législatives du 26 octobre. » Sous titre : « La résurgence des violences et le mystère qui les entoure témoignent de la fébrilité régnant dans le pays. »

Quel mystère ? Il n'y a aucun mystère. Même Libération (18/10), en légende d'une photo-choc sur double page, constate que les sections d'assaut à Kiev sont proches du « parti ultranationaliste Svoboda », anciennement Parti social-nationaliste d'Ukraine !

Les violences du 14 octobre sont nées d'un meeting de Svoboda réclamant pour « les combattants de l'Armée insurrectionnelle ukrainienne UPA » le statut de « vétérans », dit Libé en franglais. (En français on dit « anciens combattants »). Ces « combattants », Libé les définit pudiquement comme un mouvement « plus anticommuniste qu'antinazi » : en fait, l'UPA a fourni deux bataillons à la Shoah par balles en 1941... On voit la couleur de Svoboda, de ses associés, et (par intensité chromatique décroissante) de tout le milieu kiévien qu'ils influencent.

 

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Manifestation à Kiev devant la Rada. Drapeaux rouge et noir : UPA 1941. Noir et blanc, avec têtes de mort ou faisceau  :  répliques ouest-ukrainiennes de fanions (gagliardetti) des squadristes italiens de 1920.

 

On voit aussi la mauvaise foi de ceux qui, à Paris, nient tout ça et couvrent d'insultes les commentateurs non négationnistes ! Certains d'entre les insulteurs sont d'origine ouest-ukrainienne, leur posture est donc logique ; mais d'autres sont de simples naïfs persuadés qu'il faut une croisade antibolchevique ; d'autres encore sont proches des intérêts américains.

Lisons l'article en page 4 du Monde. Il s'approche de la réalité sans oser la nommer. Le journaliste qualifie simplement de « populistes » les ligues ouest-ukrainiennes, qui tenaient la rue une fois de plus à Kiev le 14 octobre ; mais sur la photo (large de quatre colonnes), on voit une forêt de drapeaux bleu-jaune où s'étale l'emblème du bataillon Azov, qui n'est autre que celui de la SS-Panzerdivision Das Reich – inversé  et accompagné d'un ukraineautre emblème de l'ésotérisme personnel de Himmler : le « soleil noir », aujourd'hui « surtout utilisé dans les mouvements néonazis » d'après Wikipedia.  (C'est un point de détail que Le Monde n'a pas remarqué, mais qu'un journal britannique aussi important que le Guardian, par exemple, commente depuis plusieurs mois ! Déjà Le Monde  ne remarquait pas les centaines de drapeaux rouge-noir de l'UPA 1941  dans les manifestations « pro-européennes » de Maïdan).

En revanche, l'article signale la prolifération en Ouest-Ukraine  de rites extrémistes qui rappellent aux historiens le squadrisme italien des années 1920. Ainsi que notre blog le signalait déjà le 17 septembre (ici), « une mode nouvelle a fait son apparition dans le pays : on jette les gens dans des poubelles. Plusieurs dizaines de personnes en ont fait les frais depuis le mois de septembre... Un homme s'est prêté avec délectation à l'exercice. Caméras sur les talons, escorte en uniforme à ses côtés, Oleh Liachko a organisé, fin septembre, une très médiatique mise à la poubelle de l'adjoint du gouverneur de Kirovograd, accusé d'avoir voté, en janvier, les lois liberticides destinées à étouffer la contestation de Maïdan... »

Selon Le Monde, M. Liachko est devenu une star en Ouest-Ukraine pour avoir monté une milice et « sillonné l'Est » en traquant, « hors de tout cadre légal, les responsables séparatistes des localités libérées par l'armée ». La phrase est intéressante : « traquer » des gens (en raison de leur appartenance), dans des lieux « libérés » par une armée, est un réflexe hérité de l'UPA de 1941. Lire notamment à ce sujet les recherches du P. Patrick Desbois.

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 Propagande "nationaliste" imprimée à Lviv : spectaculaires affiches d'hommage à la division SS ukrainienne Galizien.

 

L'article du Monde constate  sobrement que Liachko « est aujourd'hui concurrencé sur ce créneau ». Et que « la plupart des partis l'ont compris, jusqu'au (!!) Front populaire du Premier ministre Arsenyi Iatseniouk, très critique (!!) du cessez-le-feu conclu le 5 septembre... Ces partis se sont engagés dans une course effrénée pour pouvoir afficher sur leurs listes les noms des commandants des bataillons de volontaires les plus illustres. » Ça en dit long sur l'ambiance politique à Kiev, même si Le Monde ne dit pas encore ce que sont en réalité ces bataillons, ce qu'ils font, ce qu'ils chantent (« Azov marschiert / in Feidensland »), ni de quoi ils se réclament.

D'autant que l'article, toujours à demi-mot, signale la montée en Ouest-Ukraine d'un rejet de tous les originaires du Donbass – y compris ceux qui se sont réfugiés à Kiev pour ne pas rester chez les séparatistes ! C'est une « stigmatisation collective des habitants du Donbass », souligne la sociologue Ioulia Shukan... Voilà enfin la vérité : l'Ukraine une n'existe que dans des rêves d'archéologue. Le nationalisme ouest-ukrainien, né autrefois dans la Lviv austro-hongroise, postule une épuration ethnique envers les gens de l'Est. Ceux-ci le savaient d'avance, ils l'ont vérifié au vu des premières mesures issues du putsch de Maïdan, et c'est pourquoi est apparu le séparatisme – dont le Kremlin allait évidemment jouer, au grand scandale du monde atlantique.

Constater ces choses n'est pas « faire le jeu de Poutine » (comme le clament les sympathisants de Kiev à Paris) : c'est simplement dire ce que les médias refusaient de dire jusqu'à présent. Tout informateur devrait examiner les choses sous leurs divers aspects ; depuis le début du drame ukrainien, nous essayons de mettre en lumière un aspect dont nul ne voulait parler, mais sans lequel ces choses ne s'expliquent pas.

Il est vrai que notre époque n'a pas besoin d'explications ; elle ne recherche que des stimuli pour doper l'audience. Appeler « nazis » les populistes en France, mais appeler « populistes » les nazis en Ukraine, ça fait partie des stimuli. Business as usual.

 

__________

* corruption qui persiste aujourd'hui, amplifiée par le chaos ambiant.

** Opérateurs troubles et sanglants. Taper Ukraine dans la fenêtre RECHERCHER.

*** Faiblesse que notre presse – inquiète au fond – a bruyamment emphasisée (diraient les jeunes journalistes du Monde) pour dire que ces ligues n'avaient pas d'importance : comme si elles se situaient sur le terrain électoral, alors que leur puissance est d'une autre sorte.

 

12:36 Publié dans Russie-Ukraine-etc | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : ukraine

Commentaires

STIMULUS

> Le stimulus consistant à "appeler « nazis » les populistes en France, mais appeler « populistes » les nazis en Ukraine" n'étant évidemment pas innocent, car simultanément, les mêmes organes de presse qualifient de "populiste" toute personne ou mouvement ayant une attitude critique vis à vis de l'OTAN, l'Euro ou l'UE, d'ou l'amalgame anti-atlantiste = nazi.
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Écrit par : Pierre Huet / | 18/10/2014

EFFRAYANT

> Merci PP de cette synthèse .
Le plus effrayant n'est pas la réalité ukrainienne mais la partialité de nos médias.
D'ailleurs ouvrent ils spontanément les yeux, ou tout simplement Moscou paye t il plus cher maintenant que Washington ? Je caricature bien sûr mais enfin la question vient à l'esprit ...car fondamentalement il n'y a rien de neuf depuis un an !
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Écrit par : Roger / | 18/10/2014

Les commentaires sont fermés.